Pourquoi en France, on a autant de mal avec l’agile ?

J’ai mené beaucoup de projets, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé et je fais toujours le même constat, en France il nous manque la culture agile. 

J’ai suivi beaucoup de formations sur l’agile, et il y a toujours un chapitre qui me laisse perplexe, surtout quand le public est international. Les anglo-saxons nous disent que l’agile est un « mindset » et quand je leur demande comment gérer un projet agile avec des personnes qui ne respectent pas la culture agile, on me répond que les individus finissent par s’habituer et par entrer dans les organisations. Que les personnes sont bien intentionnées et bienveillantes et orientées résultat. 

Sur le terrain, ce n’est pas ce que je vois et je vais vous partager mon expérience : 

1. Déjà en France les équipes ne travaillent pas ensemble, elles ne coopèrent pas. Chacun travaille dans son coin et garde l’information pour lui et ce quel que soit la taille de l’entreprise. Même pour les projets informatiques en France, on est divisé entre les SI qui font de l’informatique et des métiers qui expriment le besoin. Ce sont 2 modes qui s’opposent, un rationnel qui avance au rythme des outils et un instable, qui avance au rythme de l’humain et de ces changements de décisions. En outre, de mon point de vue MOA ou AMOA, les métiers ne collaborent pas toujours comme ils devraient le faire avec nous. Ils font de la rétention d’information, ils refusent de nous faire rencontrer le client final, ils ne sont pas dans l’état d’esprit « projet ». Le risque est donc de voir les SI prendre la main sur l’expression du besoin pour accélérer les choses, mais ils ne pourront pas décrire aussi bien le besoin du client final que ce dernier. 

2. Les chefs de projets sont confrontés à l’échec. En effet, seuls 29% des projets sont des succès (Standish Group sur plus de 50 000 projets à travers le monde, avec des coûts allant de 400 000€ à plus de 2 millions d’euros). Personnellement, un tiers de mes projets ont échoué, et dans les réussites, il a fallu dépasser les délais ou le budget. Pourtant, en France, le droit à l’erreur n’existe pas. Ce qui complique nos métiers, parfois on préfère aller au bout d’un projet qui n’aura aucune utilité pour le client final par peur de l’échec. Dire que l’on s’est trompé semble être la pire situation pour certains managers, donc on continue dans l’erreur. Cette peur de l’échec empêche d’innover, surtout dans une époque où on peut faire de l’expérimentation, faire des proofs of concept, tester en même temps qu’on développe. Non, en France, il faut que tout soit parfait dès le premier jet. Ce qui fait qu’on se retrouve plus à faire du mini V que de l’agile avec le pire des 2 mondes. 

3. Un des intérêts principaux de l’agile est de pouvoir apporter des feedbacks fréquemment sur le projet. Or, en France, là aussi, les feedbacks surtout quand ils sont critiques ne sont pas appréciés. Nous ne savons pas nous remettre en question. Et c’est pire, quand il faut travailler avec des partenaires. Ils demandent des feedbacks, mais ne prennent pas en compte nos retours. C’est un peu « dites-moi ce dont vous avez besoin et je dirai comment vous en passer ». Donc le produit final ne répond pas au besoin de l’utilisateur et au mieux, il est possible de faire des évolutions mais qui sont coûteuses. 

4. Ce qui me permet de faire le lien avec le fait qu’on ne porte pas suffisamment d’attention à la valeur du projet. L’usager n’est pas au cœur des processus. Et quand c’est le cas, on met de côté les salariés qui sont pourtant également des producteurs de la valeur et de fait, le produit final ne produit pas de valeur car soit il ne répond pas aux attentes des utilisateurs, soit est trop complexe pour les producteurs. Après, j’ai tendance à penser que c’est ce point qui est le plus facile à corriger, car que l’on soit dans le public ou dans le privé, les indicateurs de satisfaction sont partout. 

5. En agile, la confiance est la base des relations entre les acteurs. En France, pour que la confiance s’installe, on regarde ton diplôme, tes expériences, ton titre dans l’entreprise et ce n’est qu’après t’avoir jaugé qu’on décide de te faire confiance ou non. Comme dans le point 1, l’équipe dans laquelle tu travailles va avoir un impact sur tes collègues. Si, elle a de bonne relation, il sera possible d’avancer, sinon c’est des mois de galère. En plus, si tu rajoutes un MOE et un MOA qui ne peuvent pas se voir, tu les verras se mettre des bâtons dans les roues en permanence. Tu ne t’en sors pas. En AMOA, j’ai vu souvent cette situation où le MOE met la faute sur le MOA et le MOA critique le MOE. Tu ne peux donner raison à personne, car les deux sont en tort. Dans ce contexte, impossible de mettre en place de l’auto-organisation, c’est toujours la hiérarchie verticale qui dicte aux équipes les activités à faire pour atteindre les objectifs. 

6. Le dernier point est la conséquence des précédents. Il est impossible de faire de l’amélioration continue. On vise toujours le minimum et derrière on a aucun levier pour avancer. 

Le plus souvent, ce genre de profils qui ne comprennent rien à l’agile se retrouvent à des postes de sponsors. Par habitude, ils ne veulent pas changer la culture et pire encore comme ils ont une mauvaise compréhension de l’agile, ils freinent les projets ambitieux de transformation agile ou pensent que l’agile est une solution pour faire mieux, avec moins et plus vite et vont donc te donner un budget et un délai impossible à tenir. 

Changer la culture d’une entreprise c’est dur, d’un pays entier encore plus. Mais déjà si on pouvait former à l’agile le plus tôt possible, surtout la posture dès les études supérieures, on aurait un nouvel état d’esprit dès l’entrée sur le marché du travail. Il faut aussi changer les sponsors, les pousser à faire des formations certifiantes agiles pour enfin comprendre ce qu’il y a derrière. 

On ne peut pas lancer un projet agile sans avoir pris en compte le risque de culture. Bien entendu, il est possible au départ de lancer des petits projets agiles pour acculturer les collaborateurs. Il est aussi important de mesurer sa maturité agile pour savoir comment se lancer au mieux dans l’aventure agile. 

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